L’idée de la "monnaie hélicoptère" n’enchante ni Bercy ni la Banque de France

L’idée de la "monnaie hélicoptère" n’enchante ni Bercy ni la Banque de France
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La proposition de trois économistes de transférer directement de l'argent aux Européens via la BCE pour soutenir l'inflation a été balayée d'un revers de la main par Bruno Le Maire.

L’idée de la "monnaie hélicoptère" n’enchante ni Bercy ni la Banque de France
Crédit photo © Airbus

Remise au goût du jour par les Etats-Unis, la "monnaie hélicoptère", une mesure de soutien économique non conventionnelle qui consiste à distribuer directement de l’argent aux citoyens, serait un bon instrument de dernier recours de la BCE pour porter l’inflation européenne, défendent un trio d’économistes français dans une note du Conseil d’analyse économique (CAE) publiée mercredi.

Mais cette proposition ne plaît ni au ministre français de l’Economie, ni au gouverneur de la Banque de France. Auditionné au Sénat hier, François Villeroy de Galhau a déclaré qu’elle ne nous paraît pas une bonne idée, soulignant que la monnaie hélicoptère n’a jamais été appliquée, serait complexe en pratique à déployer, et obligerait la BCE à constater une perte massive qui "remettrait en cause la confiance des Européens dans leur monnaie".

"La manne de la Bible"

L’accueil réservé à cette option par Bruno Le Maire a été tout aussi défavorable : Tout ce qui laisse croire aux Français qu'il y a des solutions de facilité, qu'il y a de l'argent gratuit qui va tomber du ciel comme la manne de la Bible, tout ça, malheureusement ne tient pas la route, a-t-il indiqué ce jeudi matin sur le plateau de BFM Business.

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Aux Etats-Unis, les ménages ont bénéficié par trois fois de ce coup de pouce dans le cadre des spectaculaires plans de relance de Trump et Biden. Mais contrairement aux Américains, nous avons des filets de protection sociale qui sont très forts, a argué le ministre de l'Economie, soulignant que le pouvoir d’achat des Français – en dépit de la crise – s’était maintenu en 2020 et qu’il n’est donc pas nécessaire aujourd’hui de faire des chèques aux Français.

Le principe de "l’argent magique" est un débat de longue date parmi les économistes et la classe politique, et en tant qu’instrument "non conventionnel", celui-ci compte son lot de détracteurs, en particulier parmi les défenseurs de politiques budgétaires rigoristes, tels que nos voisins allemands.

Un instrument de dernier recours à l’effort soutenable

Ce que sont loin d’ignorer les trois auteurs de cette note, Philippe Martin (Sciences Po, membre du CAE), Éric Monnet (école d’économie de Paris/EHESS) et Xavier Ragot (membre du CAE, Sciences Po, Observatoire français des conjonctures économiques), qui considèrent que l’effort financier demandé par cette mesure serait loin d’être insoutenable.

Puisque dans l’hypothèse d’un scénario extrême selon laquelle la Banque centrale devrait procéder à cinq vagues de monnaie hélicoptère au sein d’une courte période, son bilan augmenterait d’un montant maximum de 10 % du PIB, soit d’un niveau relativement faible par rapport à la taille de son bilan actuel (60 % du PIB)".

Pour ces spécialistes, la monnaie hélicoptère serait une solution de dernier recours qui ne devrait être rendue possible pour relancer l’inflation dans le cas où cette dernière demeurerait trop faible de manière persistante [et que] la reprise économique de la zone euro est insuffisante, moins vigoureuse que celle actuellement prédite (4,7% en 2022, et 2,1% en 2023).

Messieurs Martin, Monnet et Ragot dressent le constat que les instruments [de politique monétaire] actuels [tels que son Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP, NDLR] n’ont pas réussi à produire une inflation conforme à la cible , proche, mais en-dessous des 2%. Car bien que l’inflation européenne ait atteint 2% le mois dernier, cette remontée apparaît remarquablement faible si l’on tient compte de l’effet de base de la crise sanitaire. Les dernières prévisions de la BCE, d’1,9% en 2021, anticipent par ailleurs un nouveau décrochage à partir de l’année prochaine, tablant sur un taux d’inflation moyen égal à 1,5 % en 2022, puis de 1,4% en 2023.

Effets collatéraux du QE

Ces instruments ont été utiles et absolument nécessaires pour éviter la déflation, reconnaissent-ils, mais ils ont à la fois échoué à atteindre leur objectif et ont produit des effets collatéraux qui posent question : l’accroissement des inégalités de patrimoine, l’achat d’actifs d’industries polluantes afin de respecter le principe de neutralité de marché, le traitement privilégié des dépôts des banques à la Banque centrale (tiering), et la dominance budgétaire due à la détention croissante de dette publique.

Si la reprise et l’inflation ne sont pas au rendez-vous, l’ajout de la monnaie hélicoptère à la politique monétaire, qui ferait mécaniquement baisser les inégalités de revenus et dont « l’effet théorique sur l’inflation est mieux connu que celui du quantitative easing (QE), sans impact évident sur le prix des actifs, permettrait par ailleurs de limiter le recours aux QE avec leurs potentiels effets collatéraux », défendent-ils.

Montants nécessaires

Cette distribution de cash prendrait la forme d’un transfert direct de la BCE aux individus, et l’opération devrait être renouvelée tant que la cible d’inflation n’est pas atteinte.

Selon leurs estimations, dans le cadre d’une "première injection", un transfert monétaire équivalent à 1 % du PIB (d’un montant minimum de 335€ par personne) augmenterait le taux d’inflation de 0,5 point de pourcentage à l’horizon d’une année. Un transfert équivalent à 2% du PIB, le ferait porter d’1 point de pourcentage : il nécessiterait la distribution d’un minimum de 770€ par individu.

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