Prix à la pompe : le plafond de Total à 1,99€ sera-t-il un vrai coup de pouce ?

Prix à la pompe : le plafond de Total à 1,99€ sera-t-il un vrai coup de pouce ?

En moyenne inférieur à ce plafond aujourd'hui, le litre d’essence pourrait-il à nouveau flamber dans les mois à venir ?

Prix à la pompe : le plafond de Total à 1,99€ sera-t-il un vrai coup de pouce ?
Crédit photo © iStock

En place depuis ce week-end, le nouveau coup de pouce à la pompe de TotalEnergies en est-il vraiment un ? L’annonce de son président-directeur général, la semaine dernière, de plafonner pour le reste de l’année la grande majorité des litres d’essence dans ses stations françaises à 1,99€ le litre, n’a pas manqué de faire réagir la classe politique.

Si du côté du gouvernement, qui avait mis la pression sur le groupe pour mettre en place une nouvelle aide, la mesure a été saluée pour soulager le porte-monnaie des Français, plusieurs députés de l’opposition, principalement de gauche, ont dénoncé un « coup de communication » sans effet concret sur le budget essence des ménages.

Fondement de ces critiques : le prix actuel du litre, en moyenne inférieur à 2€, ne demande de facto aucun véritable effort actuel de la part du géant pétrolier, qui a pourtant enregistré des bénéfices record l’année dernière, porté par le contexte de la guerre en Ukraine.

Des cours du pétrole stables depuis janvier

Un an après le début du conflit avec la Russie, les prix du brut, sur le marché des matières premières, se sont sensiblement assagis. Après une année particulièrement volatil, où les cours du Brent de la Mer du Nord ont flambé jusqu’à près de 140$ le baril en mars -pour terminer sous 85$ fin décembre, 2023 marque une accalmie.

A lire aussi...Comptage

« Depuis le début de l’année, et de façon assez étonnante, on observe une certaine stabilisation des cours du pétrole », note Antoine Fraysse-Soulier, responsable de la recherche marchés du courtier eToro. « Ceux du WTI américain évoluent dans une fourchette comprise entre 72 et 82 dollars, et ceux du Brent de la Mer du Nord, qui est un peu plus cher, enregistrent des mouvements similaires. »

1,86€ le litre de SP95 dans les stations en moyenne

Dans les stations essence, les prix à la pompe sont retombés en conséquence. Selon les données du ministère de l’Ecologie, les consommateurs déboursent en moyenne cette semaine 1,86€ le litre pour du super SP95 et 1,81€ pour le gazole. Les points de vente affichant des tarifs à 2€ le litre restent minoritaires.

TotalEnergies, qui déclarait la semaine dernière que quatre stations de ses réseaux sur dix atteignaient déjà cette barre des 2€ pour un ou deux produits, assure que le plafond à 1,99€ permettra de protéger substantiellement les consommateurs d’une hausse des prix dans les semaines ou mois à venir.

Pour que ce plafond se révèle aussi protecteur que les remises à la pompe de l’an dernier – qui avaient atteint jusqu’à 50 centimes le litre en cumulant le coup de pouce du gouvernement et celui de TotalEnergies – il faudrait toutefois que le pétrole connaisse à nouveau un bon coup de chaud, et que les tarifs dépassent leurs records enregistrés en 2022 (jusqu'à frôler les 3€ le litre de sans plomb dans certaines stations) … un tel scénario est-il plausible ?

La guerre en Ukraine, un bouleversement pour les stratégies énergétiques

Les analystes des marchés financiers le concèdent : avec le contexte international actuel, les prédictions sur l’évolution des cours sont devenues très difficiles à établir. « Si tout le monde a le sentiment que les cours devraient monter, le marché du pétrole se comporte aujourd’hui assez étrangement, influé par des mouvements singuliers à la fois du côté de l’offre et de la demande », observe Jean-Jacques Friedman, directeur des Investissements de Vega Investment Managers.

Du côté de l’offre, une année de guerre en Ukraine a fait bouger les lignes géostratégiques, mais surtout sur le gaz. Si le robinet coupé du gaz russe a chamboulé les stratégies du mix énergétique européen, l’offre de pétrole aura été, en comparaison, impactée "à la marge", dans la mesure où le pétrole russe n’est majoritairement pas directement acheté par les européens, mais transite par la Chine, et surtout par l'Inde, avant d’être réexpédié raffiné sur le Vieux Continent.

En parallèle, « l’Opep a par ailleurs su ajuster ses quotas de production au fil des mois, ce qui a permis de maintenir une offre toujours assez importante depuis le début de la guerre », relève Antoine Fraysse-Soulier, d’eToro.

De la même façon, « les Etats-Unis, revenus au centre du jeu politique mondial, ont ouvert une partie de leurs réserves stratégiques à hauteur d’un million de barils/jour pendant six mois, ce qui a permis de maintenir l’offre et évité au pétrole de poursuivre sa flambée vers les 130, 140 ou 150 dollars comme on pouvait l’imaginer au début du conflit », précise Jean-Jacques Friedman.

Une demande de pétrole dopée par la flambée du gaz

En ce qui concerne la demande de pétrole, en revanche, l’impact de la guerre aura été très important. D’après Jean-Jacques Friedman, ce sont en effet surtout les prix du gaz qui jouent aujourd’hui sur le niveau de cette demande, et peuvent ainsi faire basculer les cours du brut « d’un côté ou d’un autre ».

« L’année dernière, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les prix du gaz avaient tellement explosé que beaucoup d’acteurs économiques – du moins ceux dont la production leur permettait - se sont tournés vers le pétrole en substitution du gaz pour combustible », explique le spécialiste. Si la demande de pétrole est restée forte l’année dernière et les cours du brut relativement élevés, c’est principalement pour cette raison.

Après leur flambée estivale, les cours du gaz sont redescendus progressivement au début de l’automne. Dans le contexte d’un conflit politique enlisé, à la faveur d’un hiver doux et des efforts de réduction de consommation déployés par les ménages et les pouvoirs publics, ils sont repassés en janvier sous la barre des 60€ le mégawattheure sur le marché de gros.

A ce niveau de prix, les acteurs économiques n'avaient plus grand intérêt à remplacer cette énergie par le pétrole en combustible, ce qui, pour Jean-Jacques Friedman, expliquerait en partie l'accalmie des cours du brut.

« Les cours du gaz se situent maintenant à un niveau assez faible vu le contexte géopolitique, ce qui nous laisse penser qu’ils sont encore loin d’être stabilisés, qu'ils pourraient à nouveau remonter et faire ainsi réapparaître ce phénomène de substitution gaz/pétrole, juge le directeur des investissements de Vega Investments Managers. En dépit de réserves stratégiques renflouées, l’hiver prochain devrait encore être compliqué pour le mix énergétique européen. Le gaz russe a tout simplement disparu de l'équation mondiale : c'est un manque énorme de production. »

Le retour de la demande chinoise ?

« Au-delà de cet effet de substitution, beaucoup de spécialistes anticipent des cours à la hausse dans les prochains mois », explique Jean-Jacques Friedman. La raison ? Des perspectives de croissance meilleures qu’attendues dans la zone euro, mais aussi et surtout le retour de l’économie chinoise, après une longue période de stratégie "zéro Covid" relativement dévastatrice pour sa croissance.

« Cette réouverture de l’économie chinoise devrait mécaniquement engendrer une demande de pétrole plus importante », note Jean-Jacques Friedman. Mais la reprise n'est pas encore tout à fait là. « On attend encore les données confirmant la réouverture de la Chine », relève aussi Antoine Fraysse-Soulier.

L’hypothèse la plus plausible, celle d’un renforcement de la demande– appuyée à la fois par la Chine et un redécollage des prix du gaz – augure donc de nouvelles hausses des prix à la pompe dans les stations-service d’ici à la fin de l’année.

Des conjectures que les analystes soutiennent cependant avec beaucoup de pincettes, face à une évolution des cours bizarre, ce même qualificatif employé par Jean-Jacques Friedman et Antoine Fraysse-Soulier.

« Puisque les mouvements des cours du pétrole ne sont plus vraiment corrélés aux projections économiques, les anticiper devient un véritable casse-tête. Cela étant dit, il nous semble que les risques de remontée des cours sont aujourd'hui plus importants sur le gaz que sur le pétrole », considère J.-J. Friedman.

« Même d’un point de vue "technique", actuellement, l’analyse graphique des cours du pétrole penche plutôt vers un scénario baissier », souligne A. Fraysse-Soulier.

Un véritable casse-tête, donc.

©2023-2024
L'Argent & Vous

Plus d'actualités Quotidien

Chargement en cours...

Toute l'actualité