« Pour ou contre la taxation des superprofits ? »

« Pour ou contre la taxation des superprofits ? »

Tribune de Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne.

« Pour ou contre la taxation des superprofits ? »
Crédit photo © Cercle de l'Epargne

Chaque fois que le cours du pétrole et du gaz croît, les entreprises énergétiques sont accusées de réaliser des bénéfices illégitimes. Dans plusieurs pays dont la Bulgarie, l'Italie, la Roumanie ou l'Espagne, de nouvelles taxes ont été instaurées pour capter une partie de ces bénéfices. En France, plusieurs partis politiques ont réclamé une majoration de l’imposition sur les bénéfices des compagnies pétrolières. La Commission de Bruxelles a indiqué qu’un prélèvement pour financer la transition énergétique et les mesures de soutien pourrait être pratiqué.

Qu’est-ce un superprofit ? Est-ce un profit généré par une situation indépendante des process de production classique ? Est-ce un profit dépassant un certain montant ? Faut-il apprécier les superprofits sur un an ou prendre en compte des périodes pluriannuelles ? Quels sont les secteurs concernés ? Doit-on se cantonner à de l’énergie, des matières premières ? Celui de l’information et de la communication ou celui des banques pourraient-ils être concernés ?

Des bénéfices qui attirent l’attention des pouvoirs publics

Après la crise sanitaire, les États occidentaux se sont endettés dans des proportions inconnues en période de paix. Le rééquilibrage des comptes est pour le moment différé en raison de l’invasion de l’Ukraine. Néanmoins, le besoin de nouvelles ressources se fait ressentir avec une acuité grandissante. Avec la hausse des cours de l’énergie, les entreprises pétrolières réalisent des bénéfices importants attirant l’attention des pouvoirs publics. Les prix du pétrole et du gaz sont fortement volatils. Depuis dix ans, le secteur a connu deux chutes abyssales, en 2015/2016 et en 2020 avec des ventes à terme à prix négatif pour le pétrole. Les compagnies pétrolières ont subi des pertes d'exploitation en 2020. Une mutualisation des seuls bénéfices sans tenir compte des pertes remettrait en cause la viabilité du secteur. Dit autrement, la viabilité des entreprises serait incertaine si elles devaient endurer, seules, les mauvais moments et être dessaisies d’une partie de leurs bénéfices lorsque les prix augmentent.

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Victoire du libéralisme

Au-delà du secteur pétrolier, faut-il taxer plus lourdement les superprofits ? Ces dernières années, la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés s’est imposée à l’échelle mondiale dans le cadre d’une compétition fiscale acharnée et d’une nécessité d’attirer ou de conserver les capitaux. Le taux de l’impôt sur les sociétés est ainsi passé, en France, en vingt ans, de 50% à 25%. Cette diminution considérée comme une victoire du libéralisme ne l’est pas d’un point de vue théorique. Selon la théorie libérale classique, la réalisation de bénéfices importants s’assimile à une rente qui est une anomalie du marché, un dysfonctionnement qu’il convient de corriger.

Pour le secteur pétrolier, l’anomalie provient de la hausse brutale des cours par crainte d’une pénurie généralisée. Dans le secteur digital, les positions dominantes de certains acteurs génèrent d’indéniables rentes. La constitution de superbénéfices n’est pas le signe d’une bonne santé de l’économie. Elle ne permet pas une allocation optimale des ressources. Pour les libéraux, une entreprise dégageant des profits importants n’est pas incitée à les gérer au mieux. L’absence de contraintes financières incite au gaspillage. Les libéraux ne sont pas favorables à l’autofinancement. Ces dernières années, les profits des grandes entreprises ont servi à des rachats d’actions et non à des investissements productifs. Les entreprises du digital ont utilisé par ailleurs une partie de leurs bénéfices pour réduire la concurrence ou se sont lancées dans des investissements à faible rentabilité.

Coopération internationale souhaitable

Dans ce contexte, les États seraient légitimes à taxer ces superbénéfices sous réserve évidemment qu’ils prouvent qu’ils en feront un usage efficient. Or, en la matière, l’histoire est pavée de nombreux contre-exemples. L’État qui n’est pas soumis aux aiguillons des actionnaires se révèle bien souvent un piètre investisseur. Les échecs sont nombreux, que ce soit dans le domaine énergétique ou informatique. L’État obéît en effet à des critères d’ordre électoral et non économique.

La taxation des bénéfices est donc logique mais au nom de la neutralité économique, elle se doit d’être uniforme. Par souci d’efficacité, elle doit disposer d’une assiette large et d’un taux non confiscatoire. Pour limiter les superprofits, les États auraient tout avantage d’accroître la concurrence, ce qui suppose une coopération internationale poussée en la matière.

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Philippe Crevel

Le parcours de Philippe Crevel

Directeur, Cercle de l'Epargne

Ancien chargé de mission ministériel, Philippe Crevel a été conseiller économique et fiscal de 1991 à 1998 pour le groupe UDF à l’Assemblée nationale. Conseiller auprès de l'ancien président de la Caisse des Dépôts, Philippe Auberger, de 2002 à 2003, puis de l'ex-ministre de la Santé Jean-François Mattei de 2003 à 2004, Philippe Crevel est entré chez Generali où il a conseillé la direction générale du groupe, en charge du développement des produits d’épargne retraite, de la stratégie développement durable et des relations institutionnelles, jusqu'en 2014.

Chroniqueur, membre de la Commission des épargnants de l'AMF et fondateur de la société d'études et de stratégies économiques Lorello Ecodata, Philippe Crevel dirige aujourd'hui le Cercle de l’Epargne. Ce cabinet d'études réalise des études sur l’épargne et la retraite avec l’appui d’experts au profil varié (sociologues, économistes, juristes, journalistes, démographes, spécialistes de l’opinion et du marketing).

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