«L’assurance-vie victime de ses contradictions et non-dits»

«L’assurance-vie victime de ses contradictions et non-dits»

Cyrille Chartier-Kastler, Fondateur du site GoodValueforMoney.eu

«L’assurance-vie victime de ses contradictions et non-dits»
Crédit photo © Facts & Figures

Chaque mois, nous n’échappons plus au communiqué de presse de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance (FFSA) mettant en avant à la fois un montant mensuel de collecte brute supérieur à 10 milliards d’euros et des encours en forte croissance. Sur les deux premiers mois de 2015, la collecte nette du secteur d’établit déjà à 4,4 milliards d’euros ; les encours atteignent désormais 1 545 milliards d’euros. Dans ce contexte qui pourrait sembler «au beau fixe», nous oserons toutefois poser deux questions :

- Les indicateurs suivis et mis en avant sont-ils les plus pertinents à date ?

- Les chiffres communiqués par la FFSA constituent-ils une bonne nouvelle pour le secteur de l’assurance et les épargnants ?

Un indicateur malheureusement trop peu communiqué par le secteur est celui du niveau et de l’évolution du taux d’unités de compte (UC) dans la collecte et les encours. En cumul sur janvier et février 2015, la collecte brute sur les UC a été de 4,4 milliards d’euros, soit 18% d’un total de collecte de 22,5 milliards d’euros. Concrètement, cela montre que l’épargnant investit massivement aujourd’hui en assurance-vie sur le fonds en euros, le rendement moyen servi (volontairement) par la profession en 2014 ayant été proche de 2,5%. Une fois les 15,5% de prélèvements sociaux déduits, le fonds en euros a donc délivré environ 2,1% ; c’est une très belle performance pour un placement totalement sécurisé pour l’épargnant. Net d’inflation, le taux servi en 2014 a été de 1,6%.

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Des rendements proches de 0

Le taux servi par la profession en 2014 est essentiellement dû au mécanisme financier propre à l’assurance-vie, qui est un placement de long terme. Les assureurs-vie achètent aujourd’hui des obligations qui délivreront des rendements au cours des 5 à 10 prochaines années. Dans un contexte de baisse des taux d’intérêts (que nous connaissons depuis une trentaine d’années), délivrer des performances significatives sur un fonds en euros requiert un talent relatif. La mécanique touche aujourd’hui toutefois ses limites :

- A la date d’écriture des présentes (le 17 avril 2015), le rendement à 10 ans de l’OAT est de 0,33%. A ce niveau, tout assureur achetant une OAT à 10 ans sait parfaitement qu’il engrange des pertes pour le futur.

- Dans une hypothèse de remontée brutale des taux d’intérêts, un assureur-vie ayant acquis un volume non négligeable d’obligations (très) peu rémunérées dans le contexte actuel aurait ipso facto des difficultés à suivre le mouvement de hausse des taux.

Aujourd’hui, le secteur se rassure (voire s’auto-justifie) en considérant que les taux vont remonter au cours des prochaines années, et que donc la situation actuelle de taux très bas ne sera pas durable. D’autre part, il est admis que cette même remontée des taux sera progressive, ce qui ne posera aucun risque pour un assureur-vie ayant acquis des obligations à très faible rendement.

Attention à la remontée des taux

Que se passera-t-il si l’une ou l’autre de ces hypothèses ne se réalise pas ? Dans un scénario « à la japonaise », le secteur sera progressivement conduit à accepter de réaliser des pertes afin de garantir un rendement ne serait-ce que de 0% net de frais à ses assurés. En passant la tête chez nos voisins allemands, nous constatons que ce scénario est déjà une réalité outre-Rhin en raison de l’existence de nombreux taux garantis dans les contrats en Allemagne. De même, dans un scénario de rapide remontée des taux, certains assureurs-vie pourraient être conduits à vendre (à perte) des obligations pour faire face à des flux de rachat de la part de leurs assurés.

L’issue du secteur se trouve-t-elle dans la promotion des unités de compte (UC) ? Probablement, mais dans une certaine limite, avec une forte déontologie, beaucoup de conseil apporté et une vision de long terme. On ne peut pas vendre des UC comme des fonds en euros. Les marchés financiers sont aujourd’hui (très) élevés ; nul ne peut garantir l’absence de risque d’une prochaine (nouvelle) crise financière sur les marchés financiers. Si la quasi-totalité des compagnies veulent désormais mettre l’accent sur les unités de compte, le tempo du marché n’est peut-être plus le mieux adapté ; au moins, dans une vision à court / moyen terme.

Des risques à moyen terme ?

Dans ce contexte, nous en arrivons « à contre-courant » ambiant à souhaiter / recommander un ralentissement de la dynamique de collecte nette sur les fonds en euros des assureurs-vie, voire une fonte progressive de ces encours (de l’ordre de -2 à - 3 % par an dans la configuration actuelle des taux d’intérêts). De même, la vente d’unités de compte ne devrait se faire qu’avec tous les dispositifs de conseil et de vision / d’accompagnement à long terme associés.

S’il n’y a aucun souci à se faire pour l’assurance-vie à court / moyen terme (c’est-à-dire à horizon 2020 selon nos projections), des difficultés pourraient se produire à compter de cette échéance. Ne serait-il pas utile de les anticiper et de prendre des mesures préventives idoines ?

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Cyrille Chartier-Kastler

Le parcours de Cyrille Chartier-Kastler

Fondateur, GoodValueforMoney.eu

Cyrille Chartier-Kastler travaille dans le secteur de l’assurance depuis 25 années. En 2007, il a créé le cabinet de conseil en stratégie et en management Facts & Figures spécialisé sur l’assurance et la protection sociale. Souhaitant répondre au besoin d’information à valeur ajoutée des internautes, il a fondé en 2012 le site GoodValueforMoney qui apporte de l’information concrète et originale sur l’assurance-vie.

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