« Epargne et cagnotte Covid : faut-il toucher au Grisbi ? »

« Epargne et cagnotte Covid : faut-il toucher au Grisbi ? »
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Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne.

« Epargne et cagnotte Covid : faut-il toucher au Grisbi ? »
Crédit photo © Cercle de l'Epargne

En 2020, le flux d’épargne financière des ménages a dépassé 200 milliards d’euros, contre 138 milliards d’euros en 2019. Le taux d’épargne, pour l’ensemble de l’année 2020, a ainsi atteint 21,3 % du revenu disponible brut contre 14,4 % en 2019. Le taux d’épargne financière est passé en un an de 4,64 à 12,13 % du revenu disponible brut. Cette augmentation de l’effort d’épargne est générale au sein des pays occidentaux. Le taux d’épargne a atteint, au troisième trimestre 2020, 22,22 % du revenu disponible brut en Allemagne, contre 18,42 % à la fin de l’année 2019. Aux États-Unis, les chiffres respectifs sont 18,41 % et 11,18 %.

Les Français figurent, avec les Allemands, parmi les meilleurs épargnants des pays dits avancés. Cette appétence en faveur de l’épargne est ancienne. Elle a résisté aux outrages des temps, aux révolutions, aux banqueroutes et à l’inflation. Par crainte de l’avenir, par habitude, pour doter leurs enfants, les Français mettent de l’argent de côté. La large diffusion du Livret A – plus de huit français sur dix en disposent un – est le symbole de cette propension à épargner qui transcende les générations et les catégories sociales. L’épargne permet le financement de l’économie que ce soit à travers les crédits dont elle est la base ou à travers les placements en fonds propres. L’épargne est dénigrée car elle est assimilée à l’enrichissement sans travail même si elle est enfantée par ce dernier. Elle serait l’apanage des riches qui en ne consommant pas ne favoriseraient pas l’emploi. Dans notre pays, l’épargne renvoie aux rentiers du XIXe siècle qui ont pourtant disparu depuis bien longtemps. Qui ne consomme pas menace l’ordre public ! Aussi, les épargnants « Covid » ressembleraient à des profiteurs de guerre qu’il conviendrait de taxer. Il s’agirait de l’épargne indue. Pourtant, elle le produit de revenus qui ont déjà supporté l’impôt.

Depuis le début de la crise sanitaire, plus de deux Français sur trois ont épargné. En 2020, la collecte nette du Livret d’Épargne Populaire comme celle du Livret Jeune ont été en hausse, pour la première fois depuis dix ans. Certes, la majorité de l’épargne Covid est réalisée par les 20 % des Français les plus riches mais cela est également le cas pour l’épargne en règle générale.

Les Français, par sécurité, ont privilégié l’épargne liquide, de taux en attendant de voir. En période de crise historique, ce comportement est assez logique.

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Les dépôts à vue, la valeur refuge en temps de crise

En 2020, l’encours des dépôts à vue des ménages a progressé de 62,75 milliards d’euros, contre 32,4 milliards d’euros en 2019. De décembre 2010 décembre 2020, l’encours des dépôts à vue est passé de 228 à 462 milliards d’euros. Les Français laissent, depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’argent sur leurs comptes courants. Cette tendance s’explique par la succession rapide des crises (éclatement de la bulle Internet, crise des subprimes, crise des dettes publiques, crise Covid) et par la baisse des taux d’intérêt qui pèse sur le rendement des produits de taux (livrets d’épargne réglementée, livrets bancaires, etc.). Par ailleurs, avec la fermeture des agences bancaires et d’assurances, lors du premier confinement, de nombreux ménages ont laissé leur argent sur leurs comptes courants faute de pouvoir réaliser des arbitrages. Avec la réouverture des établissements financiers et le recours croissant aux rendez-vous en ligne, ce phénomène s’est estompé au cours du second semestre.

L’épargne réglementée, l’autre grande gagnante de la crise sanitaire

L’encours de l’épargne réglementée qui comprend le Livret A, le LDDS, le Livret Jeune, le Livret d’Épargne Populaire et le Compte d’Épargne logement a atteint, fin décembre 2020, le montant de 476,6 milliards d’euros, contre 337,4 milliards d’euros dix ans auparavant, soit une progression de plus de 40 %. En 2020, l’encours a augmenté de 34,8 milliards d’euros.

Si le Livret A et le LDSS ont enregistré une de leur meilleure année en 2020, il convient de souligner que le Livret d’Epargne Populaire et le Livret Jeune ont mis un terme à leur déclin. Par ailleurs, le Plan d’Épargne Logement a connu un léger regain d’intérêt avec une augmentation de son encours de 7 milliards d’euros.

Même les livrets bancaires sont en hausse

L’encours des livrets ordinaires a dépassé 188,7 milliards d’euros à fin décembre 2020, en progression de 26 milliards d’euros sur un an. Malgré une rémunération très faible de 0,12 % en moyenne à laquelle il faut retrancher les prélèvements obligatoires (30 % si l’option du prélèvement forfaitaire unique a été retenue), les ménages ont opté pour ce type de placements liquides et sûrs. Ces livrets sont utilisés par ceux qui ont saturé leurs livrets réglementés. Les livrets fiscalisés avaient connu une forte baisse de 2012 à 2018 quand les intérêts avaient été assujettis au barème de l’impôt sur le revenu.

Cagnotte Covid

Le concours Lépine de l’utilisation de la cagnotte Covid est lancé. Doit-elle servir à la consommation, à l’investissement ou doit-elle servir de base à la redistribution sociale, les idées sont nombreuses….

Faut-il relancer la consommation ?

Si les ménages épargnent, c’est par impossibilité de consommer et par crainte de l’avenir. Il n’y pas une volonté maligne derrière ce comportement. Tant que les restaurants, les bar, les lieux de loisirs seront fermés, la consommation de services sera réduite. La consommation de biens a, en revanche, retrouvé son niveau d’avant crise. Il n’y a pas de réel déficit en la matière. Les Français qui, selon l’INSEE, ont enregistré une augmentation de leur pouvoir d’achat de 0,6 % en 2020, ont rapidement retrouvé après le premier et le second confinement le chemin des magasins. Le fort essor de l’e-commerce limite les effets des contraintes sanitaires. Quand ces dernières seront levées, il y aura une augmentation rapide de la consommation de services.

Faut-il se lancer dans une relance de la consommation qui n’aboutirait qu’au gonflement du déficit commercial, déjà abyssal (65,2 milliards d’euros en 2020) ? Les entreprises françaises ne sont pas en l’état capable de répondre immédiatement à une augmentation de la demande. La conséquence serait le gonflement des importations avec un risque accru d’inflation. N’est-il pas, par ailleurs, contradictoire de réclamer une augmentation de la consommation quand, au nom de la transition énergétique, il convient d’être plus frugal ?

La taxation de l’épargne, une mesure aux effets aléatoires voire contreproductifs

L’augmentation des flux d’épargne depuis le début de la crise sanitaire relance le débat sur leur éventuelle taxation. Les objectifs poursuivis par les avocats de ce relèvement des prélèvements seraient de favoriser la consommation et de faire contribuer les contribuables les plus aisés. Le débat est avant tout politique.

Sur le terrain économique et financier, la difficulté serait de trouver le bon angle de taxation. Certains pourraient avoir l’idée de réinstituer l’ISF sur les produits financiers. Le Gouvernement et le Président de la République ont indiqué à plusieurs reprises leur hostilité à cet éventuel rétablissement. D’autres souhaiteraient taxer les dépôts à vue au-delà de 100 000 euros. Cette mesure serait avant tout symbolique. Elle pourrait entraîner soit un essor du numéraire, les personnes concernées mettant leurs économies sous leur matelas ou plutôt dans un coffre. En l’état, il apparaît également difficile de taxer les livrets réglementés, Livret A ou LDDS. Accroître la fiscalité sur les produits comme l’assurance vie, le PEA ou le PER n’est pas dans l’air du temps étant donné qu’il faut justement réorienter l’épargne sur ce type de produits longs. Par ailleurs, une augmentation des taxes sur l’épargne a souvent des effets contreproductifs. Pour compenser l’effet de la taxation, les ménages ont alors tendance à augmenter leur effort d’épargne (effet d’encaisse Pigou).

La question de la réorientation de l’épargne

Au-delà de la question fiscale, la question de la réorientation de l’épargne des ménages se pose bien évidemment. Celle-ci est de longue date investie sur des produits de taux qui représente 66 % du patrimoine financier des ménages (3 629 milliards d’euros sur 5 493 milliards d’euros à la fin du troisième trimestre 2020). Les dépôts bancaires rémunérés représentent 1 091 milliards d’euros et les fonds euros de l’assurance vie 1 718 milliards d’euros quand les actions cotées et les unités des produits d’assurance vie et épargne retraite s’élèvent à 666 milliards d’euros. Un rééquilibrage en faveur des produits de fonds propres est jugé nécessaire tant pour améliorer le rendement de l’épargne des ménages que pour faciliter le financement des entreprises qui ont tendance à accroître leur endettement du fait des PGE et des faibles taux.

Pédagogie et transmission accélérée du patrimoine

Entre carotte devenue difficile en période de déficits et bâton contreproductif, une autre voie est possible pour la réorientation de l’épargne, la pédagogie. Les Français ne sont pas opposés à la prise de risques comme le prouve l’augmentation de la proportion d’unités de compte dans la collecte de l’assurance vie (34 % en janvier 2021). De même, les derniers résultats en matière de souscriptions d’actions sont plutôt positifs et encourageants. Le succès rencontré par le nouveau Plan d’Épargne Retraite témoigne également de la nouvelle approche des ménages. Entre le mois octobre 2019 et la fin janvier 2021, 1,24 million de Plans d’Épargne Retraite ont été souscrits soit à titre individuel, soit par l’intermédiaire d’un employeur. Fin janvier, la Fédération française d’assurance a relevé 13,4 milliards d’euros d’encours sur ce placement, dont la moitié en unités de compte, selon les chiffres de la Fédération française de l’assurance. En janvier, 88 400 nouveaux assurés ont ouvert un PER, soit une hausse de 185 % par rapport à la même période l’année dernière. 147 220 personnes ont, par ailleurs, transféré leurs anciens contrats vers des nouveaux PER. L’existence d’un avantage fiscal et la possibilité de sortir en capital séduisent les Français.

Du fait du vieillissement de la population, le patrimoine se concentre sur les plus de 55 ans. Ces derniers possèdent plus de la moitié du patrimoine des ménages. Pour faciliter sa transmission du patrimoine et éviter sa concentration, l’amélioration du régime de donation est une piste souvent avancée. Une augmentation de l’abattement à 150 000 euros et un raccourcissement des délais sont des propositions envisageables tout comme l’amélioration du régime en vigueur pour les petits enfants.

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Philippe Crevel

Le parcours de Philippe Crevel

Directeur, Cercle de l'Epargne

Ancien chargé de mission ministériel, Philippe Crevel a été conseiller économique et fiscal de 1991 à 1998 pour le groupe UDF à l’Assemblée nationale. Conseiller auprès de l'ancien président de la Caisse des Dépôts, Philippe Auberger, de 2002 à 2003, puis de l'ex-ministre de la Santé Jean-François Mattei de 2003 à 2004, Philippe Crevel est entré chez Generali où il a conseillé la direction générale du groupe, en charge du développement des produits d’épargne retraite, de la stratégie développement durable et des relations institutionnelles, jusqu'en 2014.

Chroniqueur, membre de la Commission des épargnants de l'AMF et fondateur de la société d'études et de stratégies économiques Lorello Ecodata, Philippe Crevel dirige aujourd'hui le Cercle de l’Epargne. Ce cabinet d'études réalise des études sur l’épargne et la retraite avec l’appui d’experts au profil varié (sociologues, économistes, juristes, journalistes, démographes, spécialistes de l’opinion et du marketing).

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