Bourse : « Les actions toujours sur la corde raide »

Bourse : « Les actions toujours sur la corde raide »

Tribune de Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Epargne.

Bourse : « Les actions toujours sur la corde raide »
Crédit photo © Cercle de l'Epargne

Au cours du premier semestre 2023, la zone euro était censée entrer en récession. La hausse des taux d’intérêt devait peser sur la demande intérieure, pénalisée, par ailleurs, par la hausse des prix. Des coupures d’électricité étaient annoncées en France durant l’hiver. Le nombre de demandeurs d’emploi était amené à augmenter tout comme les faillites des entreprises.

Pour le moment, ce scénario noir est oublié. L’économie française et, plus globalement, européenne se révèlent bien plus résilientes que prévu. L’emploi résiste plutôt bien. Les effets de l’inflation sur les revenus des ménages sont atténués en grande partie par le soutien apporté par les pouvoirs publics. Si le nombre de faillites est en hausse, il reste bien inférieur à son niveau d’avant crise sanitaire.

Le CAC 40 continue de grimper

La baisse des prix du pétrole et du gaz ainsi que le redémarrage de plusieurs réacteurs nucléaires français ont réduit les tensions sur le marché de l’énergie européen. Au cours du premier trimestre 2023, le CAC 40 a progressé de plus de 13 %. Du début octobre à fin mars, la hausse dépasse 25 %.

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Le jeudi 16 février, l'indice parisien a atteint 7 387,29 points dépassant son précédent record datant d’avril 2021, record encore battu depuis, le CAC 40 ayant franchi les 7420 points ce 12 avril en matinée.

Même la crise bancaire qui a touché les États-Unis, la Suisse et l’Allemagne semble être déjà un mauvais souvenir. Au-delà des effets d’anticipations, la forte appréciation des indices "actions" ces derniers mois repose sur la bonne tenue des résultats des entreprises cotées. Les secteurs du luxe et de l’énergie ont porté les cours vers le haut. Le tourisme et donc le transport sont en hausse. Bien plus vite que prévu, les stigmates économiques de l’épidémie de Covid pour ces secteurs se sont estompés.

L’inflation est toujours présente

Si les ménages demeurent pessimistes, les responsables des entreprises veulent croire que la hausse des taux d’intérêt est bientôt terminée et que la conjoncture économique ne peut que s’éclaircir. Les incertitudes sont encore légion. L’inflation recule. Dans la zone euro, elle était, en rythme annuel, en mars, à 6,9%, contre 8,5% en février mais l’inflation sous-jacente, celle qui est prise en compte par les banques centrales et qui est calculée en retirant les prix de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles, continue à augmenter.

Elle est passée sur le dernier mois de 5,6 à 5,7% soulignant un risque de spirale de hausses des prix. La baisse de l’inflation globale en mars est avant tout la conséquence d’un effet base, les prix de l’énergie ayant fortement progressé durant le printemps 2022. Cet effet base est complété par une décrue des cours du pétrole et du gaz depuis trois mois. L'inflation globale devrait encore baisser en avril et en mai d’autant plus qu’une décrue se manifeste aujourd’hui sur le front des produits agricoles.

Après mai, l’incertitude règne. Tout dépendra de la transmission de la hausse des prix aux salaires et du comportement des entreprises. Si elles arrêtent de répercuter les hausses passées voire si elles baissent leurs prix en lien avec la diminution des prix de l’énergie, une véritable décrue de l’inflation interviendra. Si les tensions sur le marché du travail se réduisent, il en sera de même. La baisse de la productivité, constatée depuis 2021 constitue en revanche un point noir pouvant remettre en cause l’équilibre financier des entreprises.

Hausse des taux directeurs, stop ou encore ?

Jusqu’à maintenant, la hausse des taux directeurs par les banques centrales a eu peu d’effets macroéconomiques. Aux États-Unis, l’emploi est resté dynamique tout comme la consommation. Si en zone euro, cette dernière est étale voire en baisse et des pénuries de main-d’œuvre persistent. Si les décisions des banques centrales ont si peu de conséquences, c’est que les taux d’intérêt réels demeurent fortement négatifs. En outre, les politiques d’accompagnement des pouvoirs publics afin de limiter les baisses de pouvoir d’achat pour les ménages et les augmentations de coûts pour les entreprises contrecarrent la hausse des taux directeurs décidées par les banques centrales.

Pour endiguer réellement l’inflation, les banques centrales pourraient donc être contraintes de relever plus fortement leurs taux. Par ailleurs, plusieurs signes semblent indiquer que dans les prochains mois une réduction de l’offre de crédit se fera ressentir en lien avec la contraction de la base monétaire. Le crédit à l’habitat pour les ménages est déjà pénalisé. Cette contraction devrait freiner la croissance ce qui devrait peser sur le cours des actions.

Pour le moment, de nombreux investisseurs font le pari inverse en estimant que les banques centrales feront preuve, dans les prochains mois, de modération pour éviter de nouveaux sinistres bancaires et une crise des dettes publiques. Compte tenu des besoins de financement générés par le vieillissement démographique et la transition énergétique, et compte tenu du niveau atteint par l’endettement public, toute hausse durable des taux sera insupportable, a fortiori avec une faible croissance. Le maintien d’un niveau plus élevé de l’inflation pourrait constituer une solution pour les pouvoirs publics, inflation permettant d’éroder implicitement la dette publique.

Les marchés parient sur une embellie à venir

Les banques centrales pourraient être amenées à revenir à des politiques monétaires accommodantes, d’autant plus que l’épargne sera plus rare et plus convoitée. Ces quarante dernières années, les ménages ont mis de l’argent de côté pour se constituer un patrimoine en vue de la retraite. Or, ce phénomène pourrait arriver à son terme. Avec la baisse du niveau de vie des retraités dans les prochaines années, ceux-ci puiseront dans leur bas de laine pour maintenir leur niveau de vie.

L’optimisme des marchés financiers repose sur un pari : les investisseurs croient à une embellie pour le second semestre. Le mois de juin sera clef. La possibilité des Européens à remplir leurs réserves de gaz, l’évolution de l’inflation sous-jacente, les capacités d’emprunt des entreprise et le niveau de leurs investissements seront les indicateurs à regarder avec attention.

©2023-2024
L'Argent & Vous
Philippe Crevel

Le parcours de Philippe Crevel

Directeur, Cercle de l'Epargne

Ancien chargé de mission ministériel, Philippe Crevel a été conseiller économique et fiscal de 1991 à 1998 pour le groupe UDF à l’Assemblée nationale. Conseiller auprès de l'ancien président de la Caisse des Dépôts, Philippe Auberger, de 2002 à 2003, puis de l'ex-ministre de la Santé Jean-François Mattei de 2003 à 2004, Philippe Crevel est entré chez Generali où il a conseillé la direction générale du groupe, en charge du développement des produits d’épargne retraite, de la stratégie développement durable et des relations institutionnelles, jusqu'en 2014.

Chroniqueur, membre de la Commission des épargnants de l'AMF et fondateur de la société d'études et de stratégies économiques Lorello Ecodata, Philippe Crevel dirige aujourd'hui le Cercle de l’Epargne. Ce cabinet d'études réalise des études sur l’épargne et la retraite avec l’appui d’experts au profil varié (sociologues, économistes, juristes, journalistes, démographes, spécialistes de l’opinion et du marketing).

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