« Les prix de l'énergie ne redescendront jamais à leur niveau d'avant-crise »

« Les prix de l'énergie ne redescendront jamais à leur niveau d'avant-crise »
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Pour Jean-Jacques Friedman, directeur de la gestion sous mandat et des investissements de VEGA Investment Managers, les marchés financiers vont devoir composer avec cette nouvelle donne. Investir en actions ? Oui, mais avec prudence.

 « Les prix de l'énergie ne redescendront jamais à leur niveau d'avant-crise »

Les prix de l’énergie n’ont cessé de grimper depuis le début de l’année, mais ces derniers jours, les cours se sont envolés en Europe : près de 320€ le MWh de gaz à Rotterdam, qui a doublé en six semaines, et plus de 1.000€ pour celui de l’électricité livrée en 2023 en France, à un niveau historique ! Comment les marchés financiers intègrent-ils cette flambée des cours ?

La situation est en effet très tendue, les prix de l'énergie sont le nerf de la guerre, mais pour les marchés, ce n’est pas une grande surprise : la problématique des prix de l’énergie a été mise sur la table dès le démarrage du conflit en Ukraine le 24 février. On a tout de suite su qu’il n’y avait pas matière à se que l’on puisse se substituer au gaz russe et que si Moscou coupait ses approvisionnements, cela demanderait forcément à l’Europe de s’adapter, notamment en cherchant des moyens de ralentir sa consommation.

La vraie surprise, pour nous, ce fut plutôt lorsqu’il y a quelques semaines, le marché est remonté sur ses niveaux d’avant la guerre (à la mi-août, le CAC 40 avait refranchi les 6.600 points en séance, NDLR) : le risque paraissait asymétrique à cause des prix de l’énergie, et nous avons pris la décision il y a quinze jours de sous-pondérer notre exposition aux actions.

Vous voulez dire que l’explosion actuelle des prix du gaz et de l’électricité n’a pas d’impact majeur sur les cours de la bourse ?

Disons que le sujet du rationnement de l’énergie est enfin mis sur la table. Pour les marchés, au moins, ce n’est plus une épée de Damoclès qui pèse au-dessus de leur tête, mais un ensemble de facteurs à intégrer pour les mois à venir : des factures énergétiques plus chères, des pénuries et des coupures de production, en particulier en Allemagne, zone doublement pénalisée par les problématiques d’approvisionnement et sa forte exposition à la Chine, qui connaît un important ralentissement économique.

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Sans anticiper de scénario catastrophe, le plus dur à passer sera cet hiver, avec sans doute trois à quatre mois de stocks de gaz constitués sur les cinq nécessaires en Europe. Des coupures sont à prévoir même si elles restent difficiles à anticiper en raison du facteur météo.

Avec de tels niveaux de prix, certaines productions ne deviendront peut-être plus rentables et les entreprises pourraient aussi décider d’elles-mêmes de les interrompre. Certaines devraient mettre en place des mécanismes de substitution au gaz, mais ce ne sera pas toujours possible.

Jerome Powell, le président de la Fed, a laissé entendre la semaine dernière que l’institution poursuivrait sa politique de relèvement des taux d’intérêt directeurs encore un certain temps pour contrer cette inflation, quitte à freiner la croissance…

La hausse des prix devait aussi être transitoire mais elle s’est installée en raison des crises successives. A l’origine, l’inflation était un problème d’offre due aux confinements, aux restrictions sanitaires et à la politique zéro covid de la Chine. Là-dessus s’est greffée la guerre en Ukraine avec les problèmes d’approvisionnement énergétique. En réalité, l'inflation s’est installée progressivement et les entreprises en ont profité pour faire passer des hausses de prix assez rapidement. Elles-mêmes ont généré une partie de cette inflation et les ménages réclament logiquement des hausses de salaires...

Aujourd’hui, la Fed souhaite vraiment enfoncer le clou pour la tuer dans l'œuf, quitte, en effet, à brider sa croissance. Elle estime en outre avoir de la marge de manœuvre dans la mesure où en dépit de cette remontée des taux, le marché de l’emploi aux Etats-Unis se porte très bien.

Cependant, on ne va pas pouvoir augmenter de façon trop conséquente les taux longs car les Etats sont aujourd’hui très endettés. Avec des déficits minimum de 120% que l’on observe partout dans le monde, une hausse trop violente des taux longs serait intenable. C’est la raison pour laquelle la Fed agit sur les taux courts et que la courbe s’inverse. Comme cette inflation n’est pas engendrée par une demande forte, cela pourrait se calmer un peu, mais il faudra passer la crise d’approvisionnement énergétique de l’Europe cet hiver…

En parallèle de l’explosion des prix du gaz et de l’électricité en Europe, ceux du pétrole se sont un peu assagis depuis le début de l’été. Cette accalmie va-t-elle perdurer, ou est-il possible que les cours remontent avec un effet report lié aux coûts excessifs du gaz ?

Les cours du brut pourraient effectivement remonter un petit peu mais la hausse sera sans doute modérée. Avec la guerre en Ukraine, les Etats producteurs ont pu compenser la baisse des livraisons russes, les Etats-Unis tentent de trouver un terrain d’accord avec l’Iran, avec le Venezuela, eux-mêmes ont ouvert leurs vannes avec un million de barils jours supplémentaires pendant 180 jours. Ces quelques mesures ont ramené le pétrole sous la barre des 100$ le baril, et on pourrait peut-être réintégrer cette fourchette des 100-120$ pour les mois à venir.

Face à ce tableau général, quelles sont vos recommandations en matière d’allocations d’actifs ?

Comme je le mentionnais en début d’entretien, nous avons décidé de sous-pondérer notre exposition aux actions lorsque le marché s’est rapproché de ses niveaux d’avant le conflit ukrainien. Nous reviendrons probablement à une pondération neutre dans les semaines et mois à venir, mais nous attendons encore les annonces des mesures du gouvernement pour mieux nous projeter.

Du côté des valeurs, nous préférons délaisser les cycliques qui vont continuer de souffrir ainsi que les entreprises les plus endettées – pour qui la remontée des taux sera difficile. Nous privilégions les valeurs de croissance qui ont du "pricing power", comme le luxe, la technologie ou encore les spiritueux qui profitent de la baisse de l’euro à l'export. Les valeurs pétrolières sont aussi intéressantes à court terme, mais il faut se méfier d’un possible retour de bâton.

Ce qu’il faut surtout intégrer, c’est que nous ne retrouverons jamais les niveaux de prix de l’énergie que nous connaissions avant la crise. C’est un véritable changement de paradigme : il faudra de nouvelles politiques d’approvisionnement, des substituts, et bien sûr des énergies renouvelables, le secteur d’investissement que nous recommandons sur le long terme. Le développement de ces filières est coûteux, mais il va dans le sens de l’histoire, c’est une évidence.

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Jean-Jacques Friedman

Le parcours de Jean-Jacques Friedman

Directeur des investissements, VEGA Investment Managers

Depuis 2010, Jean-Jacques Friedman est directeur de la gestion sous mandatet des investissements de VEGA Investment Managers et depuis 2015,directeur des investissements de Natixis Wealth Management. Précédemment directeur de la gestion sous mandat personnalisée de la Société Générale Asset Management, il a débuté sa carrière en 1987 chez Knight Ridder, société d’information financière.

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