Influenceurs et arnaques : les produits financiers dans le viseur des pouvoirs publics

Influenceurs et arnaques : les produits financiers dans le viseur des pouvoirs publics
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La législation en préparation sur les influenceurs devrait interdire aux stars des réseaux sociaux la promotion de certains produits et services financiers. Les dérivés, mais aussi les NFT et les cryptos pourraient être concernés.

Influenceurs et arnaques : les produits financiers dans le viseur des pouvoirs publics
Crédit photo © iStock

Entre les esclandres répétés de Booba sur les réseaux sociaux et le dépôt, en janvier, de deux plaintes collectives à l’encontre d’un couple d’influenceurs issus de la téléréalité – les travaux des pouvoirs publics relatifs à la création d’un cadre juridique des influenceurs ne manquent pas de résonance médiatique.

Débutés il y a quelques mois à l’Assemblée nationale, à travers le dépôt de plusieurs propositions de loi, et en janvier à Bercy, par consultation publique, ces travaux seront finalement relayés dans une proposition de loi transpartisane, portée par deux députés, l’élu LR Stéphane Vojetta et le porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Arthur Delaporte.

Interdictions publicitaires : de la chirurgie esthétique aux NFT

Ce véhicule législatif, que le gouvernement prévoit d’amender à l’issue de ses propres travaux, devrait être examiné dans la deuxième quinzaine du mois de mars.

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En cours d’élaboration, on sait déjà que le texte devrait obliger les influenceurs à signaler très lisiblement, et durant toute la durée de leur vidéo, le caractère commercial de leur publication, et leur interdire par ailleurs la publicité d’un certain nombre de produits et services.

En ligne de mire : la chirurgie esthétique, les médicaments et dispositifs médicaux, les boissons alcoolisées, les jeux d’argent et de paris sportifs, mais aussi certains produits et services financiers.

Pour l’heure, le périmètre de l’interdiction proposé comprend les produits financiers les plus risqués, comme ceux à effet de levier et ceux dont la publicité est déjà interdite depuis la loi Sapin 2 (CFD, options binaires, forex), les cryptos – à l’exception des plateformes titulaires de l’agrément AMF alors qu'à date, aucun prestataire ne dispose de cet agrément –, les émissions de jetons (ICO), à l’exception de opérations ayant obtenu un visa de l’AMF (quatre offres depuis 2020), ainsi que les NFT.

De fait, le "précédent" Nabilla, à qui la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) avait infligé une amende de 20.000€ pour pratiques commerciales trompeuses sur Snapchat en 2018 concernait des services de formation au trading proposés par une plateforme de vente et d’achat de Bitcoin.

Les plaintes récemment déposées à l’encontre des influenceurs Marc et Nada Blata pour escroquerie en bande organisée et abus de confiance, sont également relatives à des produits financiers, les requérants faisant valoir des arnaques en matière de "copy trading" et de NFT.

Explosion des arnaques financières sur les réseaux sociaux

Les escroqueries financières, bien sûr, sont vieilles comme le monde. Et à l’instar de toutes les autres arnaques, leurs formes et leurs techniques évoluent avec le temps, les appâts changent au fil des saisons, passant des investissements dans des parkings ou des cheptels bovins inexistants à de "faux" robots de trading sur le marché de change, des offres publiques de jetons (ICO) douteuses, des plateformes d’échange de cryptos mal intentionnées…

Relayées le siècle dernier par courrier, téléphone ou sur le minitel, passées ensuite en ligne par de fausses bannières publicitaires ou sites Internet, ces escroqueries sont aujourd’hui majoritairement présentes sur les réseaux sociaux, un terreau qui leur est particulièrement fertile : avec, en moyenne, près de 40% d’utilisateurs de moins de 25 ans (mais beaucoup plus sur TikTok, Snapchat ou encore Instagram), les auteurs de ces malversations ont rapidement perçu l’avantage de ces canaux : celui de pouvoir cibler une population très jeune, sans expérience financière.

Avec la pandémie de Covid et les confinements, les arnaques financières ont particulièrement proliféré, au point que les réseaux sociaux sont devenus le principal terrain de surveillance de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui a fait évoluer ses campagnes de communication et adapté ses messages en conséquence. « Des films Youtube, des messages de prévention régulièrement postés sur Instagram ont permis de toucher un public cible dont une enquête, menée en 2021, a montré qu’il était particulièrement jeune, très modeste et donc très vulnérable », explique Claire Castanet, directrice des Relations avec les épargnants de l’AMF.

A ce tableau d’ensemble, s’ajoute la problématique bien spécifique des influenceurs. Sans statut légal jusqu’à présent, les pratiques de ces superstars des réseaux sociaux, la façon dont elles communiquent, le contenu des messages adressés à leur communauté, les produits et services qu’elles promeuvent – profitent donc d'un vide juridique... en réalité jusqu'à un certain point.

« Au même titre que les acteurs traditionnels du secteur publicitaire, les influenceurs doivent respecter l’ensemble des règles s’appliquant aux publicités », rappelait récemment la DGCCRF, compétente pour engager des poursuites judiciaires en cas de manquement. « Les pratiques commerciales trompeuses, comme le fait de masquer le caractère commercial d’une publication, peuvent en effet être punies de deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 300.000€ d’amende ».

Des pratiques commerciales problématiques

Sans encadrement spécifique de l’influence, cependant, la DGCCRF peine à porter sur ses seules épaules la surveillance d’un Everest de contenus illégaux circulant aujourd’hui sur TikTok ou Insta : sur la soixantaine d’influenceurs qu’elle a contrôlés depuis 2021, visés parce qu’ils disposaient d’un nombre très significatif d’abonnés, soit parce qu’ils avaient fait l’objet de signalements par les consommateurs, « six sur dix ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs », a fait savoir l’institution le mois dernier.

Du côté de l’AMF, en charge de la protection des épargnants, l’activité des influenceurs est aussi surveillée de près.

« L’influence, c’est un premier signal de commercialisation. Un outil nous permettant d’observer les grandes tendances en matière d’épargne, qu’il est important d’identifier le plus tôt possible. Notre second objectif, à travers cette veille, est bien sûr de mener notre surveillance», explique la directrice des Relations avec les épargnants de l’autorité publique, qui précise qu’en matière d’influence, au même titre que pour la publicité classique, « l’AMF n’est pas le régulateur. Ce rôle appartient à la DGCCRF ».

Le cadre d’intervention de l’AMF demeure les produits et les acteurs autorisés. Comme pour certains investissements particulièrement risqués (CFD, forex, options binaires) – dont la publicité est interdite depuis la loi Sapin 2 – elle n’est pas là pour sanctionner « mais procède à des rappels à la loi, avec une pratique du contradictoire systématique ». « Agir face à la commercialisation d’offres à risque et accroître l’impact de l’action publique sur leur diffusion par les influenceurs et les réseaux sociaux », compte parmi ses priorités d’action 2023.

Certification

Sur la plateforme Epargne Info Services, l’année dernière, « nous avons eu quelques signalements relatifs aux influenceurs », rapporte Claire Castanet. « Au-delà du nombre, notre centre de relation avec le public est un capteur avancé des pratiques de commercialisation et des thèmes d’arnaques. A partir du moment où ce type de malversation apparaît dans nos radars, cela signifie qu’il se passe quelque chose, que l’on doit se pencher sur la problématique ».

Dans ce contexte, l’autorité a notamment collaboré avec l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, pour proposer d’ici au printemps un "certificat influenceur responsable dans le secteur financier", qui permettra aux "bons élèves" de l’influence de se démarquer de leurs confrères les moins scrupuleux, et de bénéficier d'une formation financière bienvenue pour mettre en avant ces produits.

Car il y a influence et influence. Si les dérives qui ont été médiatisées ont surtout mis en lumière une poignée de superstars des réseaux au train de vie dubaïote, tout un pan de social entertainers spécialisés, inconnus du grand public, mais fortement prescripteurs auprès de leur communauté, devraient être aussi concernés par le cadre légal en préparation.

Vers une définition "commerciale" de l'influenceur

Le premier article de la proposition de loi transpartisane retient pour l’heure une interprétation "commerciale" du statut d’influenceur désigné comme « toute personne physique ou morale qui fait la promotion, directement ou indirectement, de produits, d’actes ou de prestations contre une rémunération […] de manière active sur les réseaux sociaux et qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique dispose d’une audience pouvant influencer la consommation du public ».

Si cette définition pourrait bien sûr évoluer lors de son examen parlementaire, le critère du nombre de followers ne devrait être a priori pas retenu afin éviter les effets de bord, mais aussi et surtout parce que la force de l’engagement sur les réseaux sociaux n’est pas proportionnelle à l’étendue de la communauté. Les pouvoirs publics tiennent à inclure les "nanoinfluenceurs", qui comptent moins de 10.000 abonnés mais dont le taux d’engagement d’audience est extrêmement élevé.

Une proposition de définition qui « semble assez juste », nous explique le cofondateur d'une agence de marketing d’influence qui a accompagné plusieurs acteurs financiers dans leur stratégie sur les réseaux sociaux, comme BitPanda ou encore ING en Belgique, et dispose d’un réseau de plus de 7.000 influenceurs et créateurs de contenu.

Influenceurs vs. "créateurs de contenus"

Directeur France, Belgique, Luxembourg du néocourtier Trade Republic, qui a travaillé avec plus d’une centaine de "créateurs de contenus" en Europe ces deux dernières années, Matthias Baccino souhaiterait pour sa part que la distinction soit faite entre d’une part, les « influenceurs, qui capitalisent sur une notoriété prééxistante aux réseaux sociaux – acquise avec la téléréalité par exemple, et viennent la monétiser sur ces réseaux », et d’autre part « les créateurs de contenus, qui commencent leur activité alors que personne ne les suit, et sont ensuite repérés au bout de quelques mois grâce à cette activité ».

Pour ces derniers, « leur seul actif, c’est leur communauté sur les réseaux sociaux, et ils doivent en prendre particulièrement soin puisque c’est leur valeur ajoutée », explique-t-il.

A l’instar de n’importe quel autre univers de marque ou de consommation, le recours aux influenceurs est devenu un outil marketing incontournable pour les acteurs financiers, en particulier pour s’adresser à la cible des jeunes épargnants. Mais si « dans l’univers financier, les créateurs de contenus pédagogiques et les influenceurs sont relativement nombreux, c’est parce que beaucoup de Français n’ont que les réseaux sociaux pour recevoir une éducation financière, parce que les banques et l’Etat n’ont pas fait ce qu’il fallait pour assurer cette éducation financière dans le cadre du système scolaire », relève Matthias Baccino.

Aujourd’hui, Trade Republic, comme quasiment tous les néobrokers présents sur le marché français, utilise les services d’influenceurs pour assurer leur promotion sur les réseaux sociaux.

« Les réseaux sociaux sont un outil formidable de démocratisation de l’éducation financière, car ils sont sans biais : ils nous permettent de toucher une population très diversifiée, et sociologiquement et géographiquement, et de sortir du classique carcan du CSP+ urbain », assure Matthias Baccino. Sans compter l’assurance d’une audience très élevée : « En France, ces partenariats nous ont permis de générer plus de 6 millions de vues ».

"Avis" et parrainages

Le principe de ces collaborations : rémunérer un "créateur de contenus" en finances – professionnel ou amateur – disposant d’une solide communauté de followers, plus ou moins nombreuse mais avec un capital confiance et un engagement très élevés, pour qu’il présente leur plateforme dans ses interventions, que ce soit sous la forme de posts Twitter, de story Insta, ou, le plus généralement, de vidéos.

Ces accords peuvent consister par exemple à ce que l’influenceur présente la plateforme dans une vidéo "avis de courtier" à portée tutorale ou pédagogique. Ou encore à insérer des "liens d’affiliation" dans le descriptif d’une ou de ses vidéos (comme le pratique par exemple Trade Republic avec Matthieu Louvet, conseiller en investissement financier et youtubeur, que nous avons interviewé). Le créateur de contenu touchera ainsi une commission à chaque fois qu’un internaute ouvrira un compte chez le courtier en passant par son lien hypertexte.

Les acteurs réglementés, qui sont souvent accompagnés d’agence de marketing spécialisées, sont en général assez vigilants sur ces collaborations. Certains vont même jusqu'à s'assurer de la compétence professionnelle des influenceurs en ne sélectionnant que des intervenants qui soient par ailleurs conseillers en investissement financier (CIF) déclarés auprès de l’AMF.

Une professionnalisation en marche

De son côté, le cofondateur de l'agence d'influence nous assure que sa société organise systématiquement des rencontres entre les annonceurs du monde de la finance et les créateurs de contenus. « Il est essentiel que notre client puisse expliquer sa démarche, présenter son produit, son positionnement et préciser le cadre légal de son activité au créateur de contenus », déclare-t-il.

« In fine, la mise en place d’un cadre légal de l’influence nous paraît vraiment nécessaire. Les agissements d’une poignée d’acteurs, plus ou moins mal intentionnés, sont un épiphénomène. Mais ils jettent l’opprobre sur toute notre profession qui, dans sa très grande majorité, respecte le cadre légal, travaille de façon qualitative et responsable », regrette ce professionnel, dont l'agence a été l'une des premières à rejoindre l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus, l’Umicc, fédération professionnelle créée en janvier dernier pour représenter le secteur auprès du public et se démarquer des scandales de certains influenceurs qui ont jailli depuis l'été dernier.

Si la loi en préparation n’éradiquera pas à elle-seule le phénomène des arnaques financières en ligne, ce projet plus que souhaitable devrait signer la fin de la récréation générale. L'obligation, en particulier, pour les influenceurs d'afficher noir sur blanc la nature commerciale de leurs contenus, devrait beaucoup mieux protéger les épargnants.

Le parti-pris de l’interdiction publicitaire, qui devrait être assez large pour les produits financiers, enfin, peut paraître un peu radical. Mais l’expérience montre que ces mesures sont efficaces : depuis la loi Sapin 2, qui a interdit celle sur les CFD, les options binaires et le forex, le nombre d’escroqueries relatives à ces produits, en particulier les CFD et les options, a sensiblement décru.

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