Faut-il revoir notre droit des successions ?

Faut-il revoir notre droit des successions ?

Avec le cas Johnny Hallyday, les partisans d’une totale liberté de disposer montent au créneau. Derrière ce débat, deux conceptions de la société s’opposent.

Faut-il revoir notre droit des successions ?
Crédit photo © Reuters

Doit-on protéger les enfants lors d’une succession ou doit-on au contraire laisser à chacun la liberté de disposer de son patrimoine comme il l’entend ? Chaque camp a ses partisans et le débat est revenu sur le devant de la scène avec la succession houleuse de Johnny Halliday.

La situation actuelle en France

« En France, il n’est pas possible de déshériter un enfant ». Tel est le constat que l’on entend souvent. Certes, la règle peut être contournée, mais le fait est que les enfants bénéficient d’une protection. Bien plus évidente en tout cas que dans d’autres pays, comme les Etats-Unis.

La réserve héréditaire joue ici un rôle important. Son principe et son calcul sont posés par les articles 912 et 913 du code civil. Par exemple, un enfant unique doit recevoir au minimum la moitié des biens de son parent décédé.

La fiscalité participe aussi à cette protection des enfants. Rappelons qu’en cas de transmission, ils bénéficient d’un abattement de 100.000 euros qui se reconstitue tous les 15 ans. Sans oublier que le barème des droits de mutation à titre gratuit favorise les enfants. Il est pour eux très progressif avec un taux maximal de 45% (au-delà de 1,8 million d’euros). En comparaison, une personne sans lien avec le défunt doit régler des droits de 60% dès le premier euro reçu.

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Haro sur la réserve héréditaire

Face aux tenants du système actuel, des voix s’élèvent pour réclamer une réforme de notre droit, en particulier une suppression de la réserve héréditaire.

Certains techniciens du droit avancent par exemple que la notion de réserve est devenue inutile dans la mesure où elle est régulièrement contournée, notamment via le recours à des contrats d’assurance-vie.

Ce schéma de transmission automatique aux enfants est également dénoncé par des intellectuels qui lui reprochent d’entretenir les inégalités sociales. Pour y remédier, certains souhaitent une taxation plus lourde (afin d’accroître la redistribution). D’autres préféreraient que la réserve héréditaire soit purement et simplement supprimée, laissant à chacun la liberté de disposer de la totalité de ses biens (au profit d’un enfant, mais aussi d’un parent éloigné, d’un ami, d’une œuvre caritative…). C’est notamment le point de vue développé par le philosophe libéral Gaspard Koenig, dans une tribune récente publiée par Les Echos.

Deux conceptions de la société

Derrière ce débat juridique se cachent en fait deux visions radicalement différentes de la société. Les défenseurs de la réserve s’inscrivent dans une longue tradition européenne (du sud) de la transmission, qui veut que l’on travaille pour ses enfants. Ces derniers peuvent alors préserver (voire développer) ce qu’ont bâti leurs parents. Cette conception de la transmission est fortement ancrée dans la société et va même au-delà des questions d’héritage. Une entreprise familiale implantée depuis plusieurs générations n’est-elle pas un gage de sérieux aux yeux d’un client ?

Il est également intéressant de noter que parmi ceux qui dénoncent cette « société d’héritiers », certains n’en contestent pas tant le principe que les conséquences économiques. Plutôt que de remettre en cause la réserve, ils préconisent surtout d’alourdir la taxation des transmissions pour favoriser la redistribution.

En face, les pourfendeurs de la réserve héréditaire défendent un autre modèle de société, inspiré notamment de celui qui existe aux Etats-Unis (où l’on peut déshériter ses enfants). Pour eux, l’individu doit construire sa réussite sur son mérite et non sur un héritage familial automatique. Ils considèrent de surcroît que le détenteur de patrimoine doit être libre de choisir ses héritiers.

Ce débat dépasse donc la simple opposition technique sur des points de droit ou de fiscalité et devrait pour cette raison continuer à diviser la société française.

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