Escroqueries financières : 40.000€ de perte en moyenne par victime

Escroqueries financières : 40.000€ de perte en moyenne par victime
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Le phénomène des arnaques financières a su profiter de la crise. Le terrain de chasse de ces malversations est de plus en plus large, le profil des victimes très éclectique. Sur les réseaux sociaux, les jeunes sont en première ligne.

Escroqueries financières : 40.000€ de perte en moyenne par victime
Crédit photo © AMF/ACPR

Le coup d’accélérateur donné par la crise sanitaire à la digitalisation des services financiers et la faiblesse des taux d’intérêt ont donné des ailes aux escroqueries financières en 2021.

Le contexte très particulier de la période 2020 – marquée par les confinements – avait entraîné un ralentissement du nombre de plaintes de consommateurs reçues par la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF).

Mais le coup de frein fut de courte durée : en 2021, les signalements sont repartis de plus belle. Rebondissant de 85% par rapport à l’année dernière, leur nombre a même dépassé celui constaté en 2019, pour atteindre un total de 728 plaintes.

Visant un spectre de faits frauduleux « très large pour un public tout aussi large », les arnaques financières relevées ces derniers mois par les services de l’Etat ont touché tous les profils de consommateurs, des « simples » titulaires de crédits à la consommation jusqu’aux investisseurs avertis, en passant par les « jeunes périurbains d’origine modeste », cible privilégiée d’escroqueries déployées sur les réseaux sociaux.

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Un mode opératoire bien rodé

« Les escrocs font preuve d’une constante imagination pour proposer des placements qui parlent aux gens avec une image de légitimité la plus forte possible », a expliqué Robert Ophèle, le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), lors d’un point presse tenu lundi sur la lutte contre les escroqueries financières.

Sur Internet, leur principal terrain de jeu, le modus operandi de ces malversations est bien rodé, suivant trois étapes bien identifiées par les autorités : l’hameçonnage à partir de publicités ciblées, la collecte des données personnelles par un formulaire de contact à remplir en ligne, puis l’apparition d’un « faux conseiller, apparaissant très professionnel et amical », qui entre en contact par téléphone avec la victime pour la mettre en confiance, et surtout évaluer son patrimoine.

500 M€

C’est le montant estimé, par an, du préjudice global des victimes d’escroqueries financières en France, selon le Parquet.

Ces tentatives de fraudes peuvent apparaître grossières aux yeux d’un public averti. C’est de moins en moins vrai. Depuis le début de la crise sanitaire, les méthodes se sont beaucoup sophistiquées, notamment en matière d’usurpation d’identité, utilisée dans 40% des arnaques financières : les auteurs des fausses sociétés créées vont jusqu’à reproduire les numéros d’immatriculation de l’AMF ou de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) certifiant qu’elles sont habilitées à exercer une activité financière commerciale en France sous un certain régime (conseil en investissement financier, prestataire de services numériques, plateforme de financement participatif…).

Pour échapper au contrôle des autorités et à la fermeture de leurs sites d’arnaques, beaucoup de ces sites illégaux sont désormais clonés. Dans un des dossiers identifiés par l’ACPR cette année, 70 clones d’une plateforme ont ainsi été identifiés.

Tiktok & SnapChat, nouveaux terrains de jeu des escroqueries

Autre évolution inquiétante : les réseaux sociaux et les influenceurs sont devenus la rampe de lancement privilégiée d’une part importante de ces arnaques, en particuliers dans l’univers de la formation au trading et des cryptos-actifs. Sur Tiktok, WhatsApp, Instagram et Snapchat, les schémas du type pyramide de Ponzi (lire encadré en fin d’article) font notamment florès.

L’affaire Nabilla est une parfaite illustration de ces nouveaux points d’entrée : l’influenceuse a finalement été condamnée à une amende de 20.000€ pour pratique commerciale trompeuse dans le cadre de la promotion d’une offre de formation de trading qu’elle avait réalisée via une story Snapchat.

Les escroqueries financières « sont des phénomènes à ne pas mésestimer. Leur réalité n’est pas le monde désincarné de la finance », a souligné pour sa part la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau. « Les conséquences [pour les victimes] se traduisent souvent par d’importants traumatismes psychologiques, et pour certaines, par l’entrée dans une réelle situation de précarité », a-t-elle insisté.

70.000€ de pertes par victime pour les arnaques aux chambres d’Ehpad

Les montants moyens des pertes essuyées en témoignent : d’après les données de l’Autorité des marchés financiers (AMF), les préjudices déclarés sur la période 2020-2021 se sont élevés en moyenne à 40.000€ par victime, et ont pu, dans certains cas, atteindre des niveaux astronomiques.

Les arnaques ayant généré les plus lourdes pertes ont été logiquement constatées dans l’univers de l’investissement immobilier, où les montants engagés sont importants : les places de parking d’aéroport et les chambres d’Ehpad, en particulier, « ont pris le relais d’escroqueries devenues moins porteuses comme les cheptels bovins ou les diamants », rapporte Robert Ophèle.

Pour ces deux catégories d’arnaques, les préjudices moyens atteignent respectivement plus de 50.000€ et 70.000€ par victime ! Dans l’univers du marché des changes, les pertes sont moins élevées mais se situent tout de même à 38.000€, et dans les crypto-actifs, à 20.000€.

Les escroqueries aux livrets d’épargne et aux crédits ont aussi le vent en poupe : les épargnants qui se sont laissés piégés par ces faux livrets ont perdu en moyenne 72.000€ en 2021, rapporte l’ACPR, l’un de ces préjudices ayant même atteint un montant spectaculaire de 600.000€.

« Le contexte de taux bas génère et engendre un terrain très propice aux escroqueries », souligne Patrick Montagner, premier secrétaire général adjoint de l’ACPR. « Celles-ci touchent un public très large : les victimes d’offres de crédit et de livrets d’épargne ont entre 40 et 70 ans. »

La tentation du rendement, terreau des escroqueries aux livrets

Problème : si les Français sont aujourd’hui très sensibilisés à ces risques, comme le montre un sondage BVA pour l’AMF, ils sont en revanche peu au fait de la réalité mathématique du couple rendement-risque.

D’après cette même enquête, près de deux tiers d’entre eux pensent qu’il existe des placements non risqués plus rentables que les livrets d’épargne. Ainsi, beaucoup de particuliers se laissent séduire par des promesses de placements sûrs pour des rendement de 3 à 4%, et mordent à l’hameçon.

Renforcement de la coopération internationale

Pour les autorités, la traque aux escrocs n’est pas aisée, car la grande majorité des réseaux est établie à l’étranger. Mais des « avancées significatives en 2021 venant de pays hors Europe » en matière de coopération internationale dans des procédures menées par la Police nationale ont donné de bons résultats, souligne le Parquet : deux procédures d’extradition de suspects depuis Israël et Dubaï ont ainsi été réalisées cette année, ainsi qu’une saisie de 800.000€ de fonds, qui devrait permettre in fine à plusieurs centaines de personnes âgées de récupérer une partie d’un préjudice estimé à plus d’1,5M€.

L’arsenal de la DGCCRF en matière de lutte contre les sites frauduleux a par ailleurs été récemment renforcé : le "pouvoir d’injonction numérique" permet désormais à la direction d’ordonner des mesures de déréférencement de plateformes numériques illicites et de bloquer des noms de domaines.

Réseaux sociaux & intelligence artificielle

En matière de prévention, l’Etat a dû aussi s’adapter à la sophistication des arnaques et à leur diffusion massive sur les réseaux sociaux.

Une task-force nationale de lutte contre les escroqueries financières, créée en avril 2020 à l’initiative de la DGCCRF, avec la participation de plusieurs ministères (Bercy, Intérieur, Justice, etc.), des services de l’Etat et des autorités de contrôle (dont l'AMF, et l'ACPR), déploie de nouvelles techniques de veille digitale en vue de repérer les tendances en matière d’arnaques.

Du côté de l’AMF et de l’ACPR, la détection des offres frauduleuses passe aujourd’hui par des outils s’appuyant sur l’intelligence artificielle.

Leur pôle commun, Assurance Banque Epargne Info Service, a par ailleurs déployé une campagne de sensibilisation ciblant spécifiquement les jeunes, bien loin des codes traditionnels de communication du secteur. Deux séries de vidéos, « Protéger vos données personnelles » et « Les placements miracles n’existent pas» ont été largement diffusées sur la toile, et comptent plus d’un million de vues sur Youtube.

Trois grands types d'arnaques financieres

  • Celles qui touchent les produits financiers du quotidien tels que les prêts à la consommation : fausses offres de rachat de crédits où les auteurs amènent les victimes à souscrire de nouveaux prêts sous prétexte de rachats de premier prêt à des taux d’intérêt préférentiels, mais les sommes nouvellement débloquées sont détournées par les auteurs, et les victimes se retrouvent avec deux prêts à rembourser ;
  • Celles sur des produits d’investissement qui "n’existent pas" : places de parking, des chambres en Ehpad, grands crus de vins sont les thématiques en vogue ;
  • Des escroqueries sur des produits d’investissement avec supports existants, mais sans réalité économique et financière, type pyramides de Ponzi, où les investisseurs précédents, victimes, ne peuvent avoir l’espoir de retrouver leurs mises que par la venue de nouveaux investisseurs à leur tour victimes.
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