Influenceurs et arnaques : les travaux parlementaires se précisent

Influenceurs et arnaques : les travaux parlementaires se précisent
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Les députés Arthur Delaporte (Nupes) et Stéphane Vojetta (Renaissance) ont annoncé le dépôt d'une proposition de loi commune visant à réguler le secteur de l'influence numérique. Une initiative transpartisane soutenue par l'exécutif.

Influenceurs et arnaques : les travaux parlementaires se précisent
Crédit photo © iStock

Faisant écho à une consultation publique du ministère de l’Economie lancée en ligne ce mois-ci, les députés Arthur Delaporte (groupe Socialistes, Nupes) et Stéphane Vojetta (Renaissance) ont annoncé ce mercredi 25 janvier le dépôt d’une proposition de loi commune visant à réguler les pratiques des influenceurs.

Les deux députés, issus de rangs politiques opposés donc, travaillaient depuis plusieurs mois chacun de leur côté à un encadrement légal de « ces stars des réseaux sociaux faisant régulièrement la promotion de produits ou de services en tout genre en échange d’une rémunération ».

Avec un autre élu de son groupe, le député Boris Vallaud, M. Delaporte avait déposé son propre texte fin décembre – la proposition de loi socialiste défendait notamment l’interdiction, pour les influenceurs de promouvoir certaines catégories de produits et services : les produits pharmaceutiques/dispositifs médicaux et actes de chirurgie, les placements/investissements financiers et les actifs numériques, ou encore les jeux d’argent.

M. Vojetta, pour sa part, avait fait savoir qu’il préparait pour ce mois-ci une proposition, après avoir été « contacté et alerté » l’été dernier par des représentants de victimes d’arnaques d’influenceurs.

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Un travail transpartisan

« Député de la majorité pour l’un et de l’opposition pour l’autre, nous connaissons nos différences de points de vue sur des sujets importants et ne le renions pas. Pour autant […] nous avons fait le choix, dans le souci de l’intérêt général et de l’efficacité, et face à l’urgence de la situation, de présenter une initiative commune », ont annoncé les deux élus dans un communiqué de presse commun. Cette proposition de loi, cosignée, sera examinée par l’Assemblée nationale la semaine du 27 mars.

« Les polémiques et les dérives sont nombreuses. Il faut un cadre clair à la fois pour la justice, pour les influenceurs eux-mêmes et pour les consommateurs. C’est dans cet esprit d’état général que nous travaillons ensemble depuis deux semaines sur cette proposition de loi commune », a expliqué Arthur Delaporte en conférence de presse ce mercredi, aux côtés de Stéphane Vojetta.

« Le ministère de l’Economie nous a encouragés à faire un travail commun et transpartisan, c’est une initiative assez rare et exceptionnelle », a complété M. Vojetta.

« Cette proposition de loi finalement, c’est la fusion de nos deux textes », a poursuivi le député socialiste. « Il s’agit d’une base commune de discussion qui est ouverte très largement à modifications et à amendements, notamment par des collègues qui eux-mêmes avaient fait des propositions législatives », faisant référence aux députés Aurélien Taché (Nupes) et François Picquemal (La France Insoumise), qui avaient aussi déposés des texte à la fin de l’année dernière.

Etapes parlementaires

La proposition de loi initialement déposée par M. Delaporte ne sera pas retirée. Son examen, prévu la semaine prochaine, doit être « considéré comme la première étape de la discussion » pour « gagner du temps parlementaire » et « affiner les propositions » qui seront ensuite réintroduites dans la seconde proposition de loi transpartisane "Delaporte-Vojetta".

Le premier texte présentera un article unique, se concentrant sur la définition de l’influenceur « et des règles qu’il doit respecter » (telles que l’interdiction de promouvoir des médicaments ou des dispositifs médicaux) qui complètera le second, plus prolixe.

Consultation publique

L’initiative pourra aussi compter sur le soutien de l’exécutif. Du côté du gouvernement, la "concertation influenceurs" lancée le 9 janvier sur Make.org par le ministère de l’Economie se terminera à la fin de la semaine.

A date, elle a recueilli près de 13.000 contributions et plus de 3.150 commentaires. A Bercy, on se déclare très satisfait de son accueil et de « la grande utilité de ces contributions », qui permettent « d’obtenir quasiment en temps réel une photographie de l’opinion publique ».

Parmi les onze mesures présentées, la mise en place d’une définition officielle de l’influenceur est de loin celle qui a suscité le plus de réactions, suivie de l’interdiction de la promotion de certains produits par les influenceurs, proposition pour laquelle « un consensus semble se dégager » chez les internautes ayant participé à la consultation – et qui sera d’ailleurs l’un des premiers sujets discutés par les députés.

La consultation publique de Bercy s’accompagne de travaux plus formels : le ministère a ainsi programmé une série de groupes de travail thématiques (droits et obligations, protection des consommateurs, propriété intellectuelle, gouvernance) jusqu’à la fin du mois de février.

La phase de travail de l’exécutif devrait se terminer courant mars par l’organisation d’une table ronde, présidée par Bruno Le Maire pour y annoncer protocolairement les grandes orientations du projet, et intervenir en conséquence dans le débat parlementaire. Bercy utilisera la proposition de loi de Messieurs Vojetta et Delaporte comme véhicule législatif pour y apporter ses amendements. Le texte devrait par ailleurs être engagé en procédure accélérée.

Merci Booba

« Phénomène d’ampleur [en France] », les « dérives et arnaques » de certains de ces influenceurs font de plus en plus de vagues. La multiplication des travaux parlementaires et ceux de Bercy, concentrés en si peu de temps, ne sont pas un hasard de calendrier. Dénoncés depuis des années par des internautes et des "lanceurs d’alerte" sur la toile, ces abus ont surtout fait l’objet d’une forte médiatisation ces derniers mois grâce au rappeur Booba.

Sur les réseaux sociaux, principalement, Booba est parti en croisade contre certaines et certains, au premier rang desquels Magali Berdah, considérée comme l’une des papesses du milieu, mais aussi contre Marc et Nadé Blata, un couple d’influenceurs ultrapopulaire établi à Dubaï – près de sept millions d’abonnés Instagram à eux deux.

Force est de constater que les attaques virulentes de Booba ont fait leur effet. Le duo Blata fait aujourd’hui face à des accusations sévères. Ce lundi, une plainte a été déposée contre eux au parquet de Paris par 88 personnes pour "escroquerie en bande organisée et abus de confiance".

Plaintes collectives pour arnaques aux NFT et signaux de trading

Les plaignants accusent le duo de les avoir trompés en faisant la promotion des services de courtiers vendeurs de signaux sur le marché de change, via la technique du "copy trading"*, relayée dans un groupe sur Signal, tout en s’enrichissant sur leur dos via des commissions de parrainage. Des courtiers peu recommandables, tels que Fx Vantage et Iron Fx, qui « ont fait l’objet de plusieurs mises en garde publiées par l’AMF et sont inscrits depuis plusieurs années sur la liste noire des acteurs de marchés financiers », précise le cabinet d’avocat Ziegler & Associés, qui représente les victimes de ce recours collectif.

« Promettant des gains faramineux – 200 € par jour avec un capital de départ de 500 € - et occultant totalement les risques de perte de l’investissement de départ, les deux influenceurs invitent en parallèle leurs proies à déposer un capital minimum de 500 euros sur le courtier Forex partenaire. Une fois l’opération réalisée, d’un côté les victimes se voient ouvrir l’accès à un groupe Télégram VIP afin de bénéficier des signaux tradings et de l’autre les deux influenceurs touchent 800 dollars de leur partenaire par personne inscrite », précise le cabinet d’avocats dans la présentation de cette plainte collective.

Une seconde plainte, portée contre X., vise plus spécifiquement la plateforme de vente de NFT Animoon, dont les fondateurs semblent s’être volatilisés après être parvenus à lever quelque 6,3 millions de dollars auprès de 5.000 investisseurs, en s’octroyant notamment les services de plusieurs influenceurs français. Là encore, « promettant des gains et avantages très importants aux premiers investisseurs (comme par exemple : 2 500 $ offerts mensuellement à vie, des vêtements de luxe, des voyages au Japon, gains de cartes Pokémon), à ce jour près de 5 mois après la vente des NFTs, aucun de ses engagements n'a été délivré », souligne Ziegler et Associés.

Le préjudice total subi par les victimes de ces deux arnaques supposées est estimé à 6,3 millions d’euros, avec « des milliers d’investisseurs ayant perdu de quelques centaines à 100.000 euros », rapporte le cabinet d’avocats à l’AFP.

Des pratiques publicitaires majoritairement illégales

En dehors de ces cas d’espèces, de façon générale, les "pratiques" commerciales de la sphère influenceurs apparaissent majoritairement problématiques, selon la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. D’après ses constats, sur la soixantaine d’influenceurs qu’elle a ciblés depuis 2021, « six sur dix ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs ».

Le besoin de réguler un secteur pour l’heure en roue libre s’avère plus que nécessaire vu la force de frappe numérique de ces "célébrités", et alors qu’elles ciblent des consommateurs très jeunes, qui sont aussi les plus vulnérables et psychologiquement, et financièrement.

*Technique, proposée par certains acteurs financiers, de répliquer automatiquement les transactions d'un ou d'autres traders.

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