Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne
La crise sanitaire a fortement ébranlé le monde de l’épargne. Les incertitudes sur la durée et l’ampleur de l’épidémie, le choc sans précédent que subit l’économie mondiale sont autant d’éléments qui ne pouvaient pas rester sans incidence sur les actifs financiers et immobiliers.
L’effet le plus important constaté depuis le début du mois de mars a été la forte baisse du cours des actions, plus de 20 %. Dans les faits, ce krach touche peu les épargnants français qui sont faiblement exposés aux actions. Plus de 60 % de leur patrimoine est constitué de biens immobiliers. Au niveau de leurs actifs financiers, 71 % de l’encours est composé de produits de taux. Dans les prochains mois, le non versement des dividendes ou leur faible montant pèsera néanmoins sur le rendement des unités de comptes et des parts d’organismes de placement collectif.
Quels risques et comment les éviter ?
Avec la récession, avec la montée de l’endettement, avec les tentations protectionnistes, quelles sont les risques auxquels les épargnants seront confrontés dans les prochains mois et comment peuvent-ils les éviter ? L’évolution des placements dépend des modalités de la sortie de crise sanitaire. Si celle-ci est rapide et franche, la situation sera plus favorable. La gestion du déconfinement sera évidemment importante. La survenue d’une ou de plusieurs nouvelles vagues d’épidémie aurait un effet notoire sur les investisseurs.
Quelle que soit la sortie de crise, l’épargne de précaution devrait fortement progresser. Par crainte de l’avenir, de crainte d’une baisse des revenus provoquée par la récession, les Français devraient mettre de l’argent de côté. Le confinement qui s’accompagne de la fermeture d’un grand nombre de commerces ne peut que contribuer à ce processus. Les dépôts à vue et les livrets devraient être les grands gagnants sur cette période. La liquidité et de la sécurité qui étaient, avant crise, déjà prioritaires le sont encore plus maintenant. Si la crise perdurait jusqu’à l’automne, nombre de Français seraient amenés à puiser dans leur bas de laine pour faire face à leurs échéances.
Le temps est venu d'investir
Si au mois de janvier, le cours des actions était sans nul doute un peu élevé au regard du taux de croissance, avec les baisses de ces dernières semaines, le temps est venu, pour les épargnants qui le peuvent et qui ont l’appétence à prendre un peu de risque, d’investir. Du fait de la dégradation économique et financière de nombreux agents et la forte contraction des activités touristiques, l’immobilier destiné aux particuliers et aux professionnels, devrait connaître une baisse de prix d’autant plus visible qu’elle fera suite à une longue période de hausse.
Pour les actions, la volatilité sera de mise dans les prochains mois. L’éclaircissement ne sera au rendez-vous qu’à partir du moment où l’ensemble des régions économiques seront sorties de la crise sanitaire. En cas de rebond important d’ici la fin de l’année, les cours pourraient retrouver le chemin de la hausse. En revanche, si la récession s’installait, une stagnation des cours est à envisager. Les indices boursiers sont des indicateurs assez faibles des retournements de conjoncture.
Crainte de l'inflation
La crainte d’un retour massif de l’inflation peut dissuader certains épargnants à investir. Compte tenu des injections de liquidités, de la hausse dépenses publiques, le risque d’une forte hausse des prix à la sortie de la crise est avancé. L’expérience de la crise de 2008 nous indique qu’en raison du fort taux d’épargne, l’augmentation de la masse monétaire n’a pas eu d’effet sur l’inflation même s’il est vrai que la crise de 2020 n’est pas de nature financière et pourrait déboucher à moyen terme sur une progression de la demande et une augmentation des salaires.
La hausse violente des taux d’intérêts constitue une menace également à prendre en compte pour les épargnants. La progression des déficits publics et l’envolée de l’endettement devraient conduire à l’augmentation des taux d’intérêt. Si cette dernière était forte et violente, elle pourrait mettre en tension le secteur de l’assurances et provoquer une crise immobilière. Les Banques centrales conscientes qu’un relèvement des taux pourrait mettre en danger de nombreux États suivent cette question avec beaucoup d’attention. À court et moyen terme, les taux devraient rester faibles avec néanmoins une appréciation sur la période.
Les marchés actions et immobilier seraient pénalisés par un repli sur soi
En ce mois d’avril, le nombre d’inconnues est élevé. L’évolution de l’économie mondiale dépendra de la coopération entre les États tant au niveau mondial qu’à l’échelle de l’Union européenne. Si la voie du protectionnisme, du repli sur soi était choisie, le prix à payer à moyen terme serait important pour les épargnants ayant investis sur le marché « actions » ou dans l’immobilier. La mise en place de plans concertés de relance serait évidemment bien plus profitable pour tous.
La crise du coronavirus est par nature plurielle. Elle remet en cause les systèmes de santé des États et met en difficulté l’offre tout comme la demande. Elle peut se transformer à tout moment en crise financière. Les épargnants ont un rôle à jouer afin de ne pas alimenter ces crises. Ils ne doivent pas céder à la panique et privilégier les investissements, s’ils le peuvent, de long terme afin de contribuer au renforcement des entreprises et ainsi à leur compétitivité.