Coronavirus : l’exécution des contrats peut-elle être suspendue ?

Coronavirus : l’exécution des contrats peut-elle être suspendue ?

La force majeure revient sur le devant de la scène avec la pandémie de Covid-19. Mais un autre outil juridique récemment mis en place pourrait également trouver l'une de ses premières applications.

Coronavirus : l’exécution des contrats peut-elle être suspendue ?
Crédit photo © Reuters

A mesure que l’impact du coronavirus se fait sentir sur l’économie, les craintes grandissent quant aux changements de situations brutaux qui risquent d’affecter le patrimoine des particuliers et des entreprises. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, déclaré dès le 28 février que le coronavirus Covid-19 serait « considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises ». Mais quelles en seraient les conditions ? Et qu’en est-il pour les particuliers ?

La notion de force majeure, figurant à l’article 1218 du code civil, est définie juridiquement par trois critères : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité. « Si ce dernier critère était particulièrement difficile à apprécier jusqu’à récemment, depuis un arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation de 2006, on estime que l’extériorité peut être intrinsèque », analyse Pascal Jacquot avocat chez Fidal. Or la réforme du droit des contrats, intervenue 2016, a compliqué la situation en maintenant le critère d’extériorité.

Le seul fait de constater l'épidémie ne suffit pas à rendre applicable la force majeure

« La force majeure s’apprécie par rapport à l’exécution du contrat. Le seul fait de constater qu’il y a une épidémie ne suffit pas à rendre applicable la force majeure. Tel n’est pas le cas des conséquences de celle-ci, mais Il faut toujours montrer en quoi celles-ci rendent impossible l’exécution du contrat », selon Frédéric Cohen, avocat au cabinet Foley Hoag. Avant le Covid-19, l’argument a peu convaincu durant les précédentes crises sanitaires. « En pratique, lors de chaque épidémie - chikungunya, grippe aviaire, H1N1 -, il a été difficile faire jouer la force majeure, qui n’a jamais été retenue », observe Pascal Jacquot. Néanmoins, « dans cette situation inédite, on peut considérer que les règles contraignantes édictées par l’exécutif peuvent avoir le caractère de la force majeure, mais cet examen devra se faire au cas par cas », estime Frédéric Cohen.

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Un nouvel outil plus pertinent ?

Un autre dispositif a été consacré en 2016 : la théorie de l’imprévision, qui n’avait jusqu’alors été abordée que par les juges, et figure désormais à l'article 1195 du code civil. « Ce nouvel outil semble dès lors bien plus pertinent, car l’on parle cette fois de ‘circonstances imprévisibles’. Juridiquement, cela ouvre peut-être la porte à davantage de possibilités », analyse Pascal Jacquot. Comment l’actionner ? Il faut savoir que dans beaucoup de contrats, on prévoit des clauses qui définissent ou excluent ces théories, excluant les cas d’épidémies comme cas légitime d’inexécution. Le cas échéant, on peut s'en remettre alors à ce texte. Mais la difficulté réside dans le fait que, contrairement, à la force majeure, il ne s'agit pas d’une règle d’ordre public, c'est-à-dire à laquelle il n’est pas possible de déroger contractuellement.

Applications

Ainsi, à la question de savoir si pour les épargnants, les autorités boursières peuvent être mises en cause en cas de non-suspension de la Bourse, par exemple de ne pas prévoir de mesure de suspension automatique des ordres boursiers en cas de chute brutale, l’argument de l'imprévision ne tient pas a priori. « L’article L211-40-1 du CMF indique que l’article 1195 ne s’applique pas en matière de titres de capital, créances, contrats financiers ou organismes de placement collectif », rappelle Frédéric Cohen.

En matière de crédit, l’application parait moins hasardeuse. « Il est compliqué d’envisager une résiliation pour les prêts car on ne peut pas dire qu’on a une impossibilité totale d’exécuter le contrat, même si les difficultés sont réelles pendant le confinement. L’idée étant donc de plutôt suspendre le contrat, de le mettre en pause » , selon Pascal Jacquot. Ce qui pourrait être rendu beaucoup plus automatique avec l’imprévision qu'avec la force majeure. « En effet, si on pense que les moyens mis en œuvre vont coûter beaucoup plus cher que dans une situation normale, l’imprévision semble être l’outil adéquat » pour suspendre le contrat. Quoi qu'il en soit, « il faut être très prudent, car il y a à l’heure actuelle très peu de recul sur cet article. Il faudra attendre les premières décisions pour voir comment il sera appliqué », conclut Frédéric Cohen.

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