« Mini abus de droit » : quels enjeux ?

« Mini abus de droit » : quels enjeux ?
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Retour sur l'instauration de ce nouvel outil du fisc pour traquer certaines opérations fiscales.

« Mini abus de droit » : quels enjeux ?
Crédit photo © Reuters

Codifié à l’article L. 64 A du livre des procédures fiscales (« LPF »), le nouveau « mini abus de droit » est un mécanisme qui autorise l’administration fiscale à établir l’imposition sans tenir compte des actes qui « ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». Il étend ainsi à l’ensemble des impôts les effets du dispositif anti-abus spécifique à l’impôt sur les sociétés – codifié à l’article 205 A du code général des impôts (CGI). Malgré cette vocation, le texte de l'article L. 64 A reprend en fait celui de l’abus de droit « classique » prévu à l'article L. 64 du LPF, à ceci près qu'il se réfère au but « principalement » fiscal au lieu du but « exclusivement » fiscal (d’où son nom).

Quelle est l’étendue des situations couvertes par le mini abus de droit ? Quid de l’avenir de nombreuses opérations de transmission patrimoniales, dont l’une des vocations est de réduire les droits de succession ? Enfin, se pose également la question des sanctions pouvant s’appliquer aux contribuables concernés.

Étendue des situations couvertes par le mini abus de droit

« Rappelons à titre liminaire que ce dispositif n’a pas vocation à remettre en cause la liberté laissée aux contribuables dans la gestion de leurs affaires », explique Laurent Borey, avocat associé dirigeant du département Tax, Transactions & Consulting de Mayer Brown à Paris. L’administration fiscale a sur ce point clairement précisé dans sa doctrine que le mini abus de droit « n'a pour objet d'interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d'aucune artificialité ». Dès lors, pour Laurent Borey, « Toute la question est donc de déterminer la limite à partir de laquelle un contribuable peut être considéré comme ayant « abusé » de sa liberté de gestion ».

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Tant que n’existait que la procédure classique d’abus de droit, l’exigence d’une exclusivité des motivations fiscales à l’origine d’une opération permettait au contribuable d’échapper à la procédure en mettant en avant tout avantage non fiscal (juridique, patrimonial, financier, etc.). « Les choses sont devenues cependant plus complexes avec l’instauration du mini abus de droit qui permet à l’administration de mettre en perspective les différentes motivations d’un même acte pour définir le poids qu’occupe la réduction de la charge fiscale parmi ces dernières : si elle est déterminante, alors le dispositif peut être mis en œuvre », estime Nicolas Vergnet, juriste au cabinet Mayer Brown.

On peut également s’interroger sur les éventuelles divergences d’interprétation du but « principalement » fiscal que pourront retenir les juges, à propos d’une même opération selon la localisation géographique de la juridiction appelée à se prononcer. « Des spécialistes de la gestion patrimoniale ont rapidement fait part de leurs inquiétudes sur la pérennité de certaines opérations de transmission du patrimoine ayant précisément vocation à permettre à leurs acteurs d’emprunter une voie fiscalement plus favorable », selon le cabinet.

Influence sur les opérations de transmission du patrimoine

En effet, il existe de nombreuses opérations de transmission du patrimoine qui permettent de réaliser des économies d’impôt. « Il s’agit bien souvent d’opérations qui passent par un démembrement de propriété d’un bien ayant vocation à être transmis aux héritiers de manière anticipée, indique Nicolas Vergnet. L’idée sera tantôt de transmettre temporairement l’usufruit d’un bien afin de réduire la charge d’IFI, tantôt la nue-propriété de ce bien afin de réduire l’assiette des droits de mutation en anticipant la reconstitution de la pleine propriété à la succession ».

Face aux inquiétudes légitimes de nombreux contribuables, l’administration s’est rapidement voulue rassurante. « Elle a rappelé, dans une réponse ministérielle de 2019, que les donations avec réserve d’usufruit dans les opérations de transmission de patrimoine étaient expressément encouragées par le législateur qui leur avait consacré un barème spécifique et ne devraient donc pas être visées par la procédure du mini abus de droit – tant qu’elles ne sont pas fictives », ajoute Laurent Borey. Il en va de même pour les donations temporaires de l’usufruit d'un immeuble à un enfant majeur qui peut parfaitement revêtir une véritable substance patrimoniale : « l’administration fiscale précise que quand bien même cette opération permet de réaliser une économie substantielle d’IFI, elle n'est pas abusive si elle est justifiée par exemple par la volonté d'aider son enfant à financer ses études en lui permettant d'occuper le logement ou de percevoir les loyers », rappelle Nicolas Vergnet. Ainsi, a priori la seule utilisation des mécanismes d’incitation fiscale mis en place par le législateur ne saurait être reprochée aux contribuables, « seuls semblent concernés les montages empreints d’une certaine artificialité. »

Quelles sanctions ?

Contrairement à l'abus de droit classique, dont la mise en œuvre entraîne automatiquement le prononcé d'une majoration de 40 % (sans que l'administration fiscale n’ait à apporter de justification particulière) pouvant être portée à 80 % lorsqu’il est établi que le contribuable a eu l'initiative principale de l'acte ou qu'il en a été le principal bénéficiaire, « l’application du mini abus de droit ne donne pas lieu au prononcé d'une sanction automatique », indique Laurent Borey.

En d’autres termes, si l’administration peut calculer l’impôt sans tenir compte de l’acte incriminé, elle ne peut appliquer les majorations de droit commun, que sont la pénalité de 40 % pour manquement délibéré et celle de 80 % pour manœuvres frauduleuses, « que si elle est capable de démontrer que les conditions d’application de ces majorations sont remplies », conclut l'expert.

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